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Quand on prend la résolution de changer de vie

par Mathieu Guénette, c.o, directeur des services professionnels chez Brisson Legris

Photo: Annie Desrochers

Sous l’apparence de la réussite

Il y a quelques mois, j’ai lu le roman Babbitt de Sinclair Lewis; étonnamment, les propos de ce livre publié en 1922 sont toujours d’actualité. On y fait la connaissance de Georges Babbitt, qui habite dans une petite ville des États-Unis. Agent immobilier des plus prospères, Georges est marié, père de trois enfants et semble avoir la vie idéale. Plusieurs passages m’ont fait sourire, car en plus d’être plutôt bavard, Georges a une opinion sur tout et aime bien donner de drôles de conseils.

Pourtant, malgré les apparences, Georges est rongé par une angoisse inexplicable. Il essaie différents moyens, différents remèdes, pour apaiser son malaise intérieur. Ses tentatives pour donner une nouvelle direction à son existence s’avèrent toutefois difficiles et les nombreux obstacles auxquels il se heurte l’amènent à renoncer à ses idéaux.

À la fin du roman, lorsqu’il apprend que son fils a secrètement épousé sa petite amie et que, de plus, il a abandonné son projet d’études universitaires, Georges Babbitt a une conversation seul à seul avec lui. Pour une rare fois, il fait preuve d’humilité.

« J’ai toujours ambitionné de te voir diplômé d’université… » D’un air méditatif il marcha encore de long en large. « Mais je n’ai jamais  – au nom du ciel, ne répète pas cela à ta mère, ou elle m’arracherait le peu de cheveux qui me reste  –, mais je n’ai jamais, dans toute ma vie, fait une seule chose que je désirais. Je ne crois pas avoir réussi quoi que ce soit, sinon de suivre mon petit bonhomme de chemin. J’imagine que j’ai peut-être avancé d’une quinzaine de centimètres sur environ cinq cents kilomètres. Eh bien, peut-être iras-tu plus loin… Je ne sais pas. Mais j’éprouve une sorte de satisfaction furtive à voir que tu savais ce que tu voulais et que tu l’as fait. »

Le constat de Georges a suscité chez moi cette réflexion : ce n’est pas parce que pendant des années, nous nous engageons dans un tourbillon d’activités et déployons des efforts pour réussir ce que l’on entreprend que nous éprouvons pour autant le sentiment de progresser dans notre vie.

Je ne vous cacherai pas que la détresse de Georges Babbitt m’a causé un étrange vertige… Cela s’explique sans doute par le fait qu’à différents moments de ma vie, je me suis moi-même questionné sur le sens réel de ce que je faisais. Lors de ces périodes d’introspection, il m’est arrivé d’être envahi par une peur intense. Et si je réalisais un jour, à la fin de mon parcours, que mon seul accomplissement aurait été d’assurer ma subsistance et que je me rendais compte que je n’avais suivi, moi aussi, que mon petit bonhomme de chemin?

C’est peut-être cette inquiétude de ne pas laisser de réelle trace qui nous incite, nous, les humains, à prendre de nouvelles résolutions au début de chaque année qui commence. Et nous sommes forcés de le constater : plus souvent qu’autrement, ces belles intentions tombent dans l’oubli quelques semaines après notre retour au travail.

La vie doit suivre son cours j’imagine… Et sans doute, comme Georges Babbitt, il nous arrive de céder à la résignation devant notre manque de persévérance.

Résolution vs consolation

Pourtant, le Premier de l’an, lorsque nous étions chez notre belle-mère et que nous tentions, à l’aide d’un cure-dent, de déloger un résidu de tourtière coincé entre deux molaires, nous portions un regard sur l’ensemble de notre vécu… et la situation nous semblait fort simple.

« Si je veux atteindre mes objectifs, il suffit simplement que je travaille plus fort. Pourquoi ne pas y avoir pensé avant? »

« Chaque matin, dès cinq heures, je vais faire mon jogging. J’irai ensuite reconduire les enfants à l’école en n’oubliant pas, pendant le trajet, de leur chanter quelques chansons éducatives. Je me donnerai au maximum à mon travail et je me rendrai ensuite à mes cours du soir en métro et en profiterai pour lire les grands classiques de la littérature. Si je calcule bien… dans trois ans, non seulement vais-je occuper un nouvel emploi, mais j’aurai un corps de rêve, des enfants avec de belles valeurs et j’aurai enfin lu les sept tomes d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust. Wow! Comme je serai heureux! »

Mais nous devons nous rendre à l’évidence : dans le quotidien, le cruel facteur humain nous rattrape. Au fil des jours, sous le poids de la fatigue et de toutes les exigences auxquelles nous sommes soumis, nos ambitions s’amenuisent. Lentement mais sûrement, une sensation de frustration nous envahit, tel un cancer en pleine croissance, et finit par nous gruger jusqu’à la moelle. Et un beau jour, les forces rebelles qui nous habitent finissent par s’emparer des commandes de notre tête.

« Tout le monde me surcharge de responsabilités… Mes enfants ne veulent pas m’écouter… Je n’ai jamais une minute à moi… Ce matin, au diable le jogging! Puis, tant qu’à y être, au diable aussi le petit déjeuner santé, je vais m’engouffrer deux Pop-Tarts! Là, direct dans l’œsophage, sans même les mastiquer! »

Le matin suivant, nous nous promettons de reprendre nos bonnes habitudes… Mais voilà qu’en pensant à la journée qui nous attend, à la grosse réunion à laquelle nous devrons assister, à tous les dossiers à traiter, nous nous disons que nous avons bien droit à un autre petit sursis. Souvent, la mutinerie continue une semaine et parfois s’étend sur plusieurs mois… Et voilà qu’un beau jour, les forces de l’ordre en nous refont surface et crient à tue-tête à la gang de hippies imaginaires qui squattent notre esprit : « HEY! Ça suffit la décadence!

Ainsi, nous passons une grande partie de notre existence à nager entre deux eaux, à osciller entre frustration et culpabilité, sans jamais nous sentir tout à fait satisfaits de nous-mêmes.

Et à notre mission personnelle s’ajoutent les demandes et besoins de nos proches que nous aimerions bien combler! Or, pour y parvenir, il faudrait d’abord savoir travailler en équipe… et pour commencer avec nous-mêmes!

Conseiller d’orientation : pourquoi?

Lorsque j’étais jeune, plusieurs trucs me mettaient en colère. Et si aujourd’hui, il en faut beaucoup plus pour m’atteindre, je suis toujours fort irrité lorsque je constate que bien des gens continuent de croire que le rôle du conseiller d’orientation consiste à faire passer des tests et à discourir sur les carrières d’avenir. Pourquoi cela me fâche-t-il autant? Je ne le sais pas trop. Je m’estime même chanceux : j’ai toujours trouvé mon travail intéressant et je suis heureux de ce que j’accomplis avec mes clients.

Peut-être parce que lorsque je lis des histoires comme celle de Georges Babbitt, je suis troublé, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a probablement autour de moi des milliers d’individus qui se posent les mêmes questions que cet agent immobilier américain, et qui, comme lui, restent seuls avec leur angoisse, sans savoir quoi faire.

Et je me dis alors que j’aimerais bien contribuer à combattre ce mal de vivre qui menace la plupart d’entre nous. J’aimerais bien trouver des moyens de le prévenir, de le calmer, des moyens collectifs, des moyens pour aller encore plus loin dans cette démarche vers le mieux-être.

Tiens, et si cela faisait partie de mes résolutions pour la prochaine année?